Les opérateurs de transferts d’argent par téléphonie mobile de côte d’Ivoire appliquent une taxe que la Direction générale des impôts (DGI) dénonce et considère comme une « hausse illégale ».

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Par MATHIEU NDIAYE
La Loi n°2018-984 du 28 décembre 2018 portant budget de l’Etat pour l’année 2019 a créé une controverse sur la taxation des transferts d’argent qui devraient augmenter de 7,2 %, à compter du 1er février 2019. Cette mesure d’augmentation, annoncée début février de l ’année fiscale en cours, s’adresse à tous ceux qui utilisent les applications d’E-Banting, ou Mobile Money pour régler des petits achats, payer des factures ou encore envoyer de l’argent. En effet, Les opérateurs de téléphonie mobile comptent répercuter ladite taxe sur les utilisateurs pour compenser une taxe que le gouvernement impose désormais aux opérateurs de transfert d’argent. Par contre, l’administration fiscale considère que la répercussion de ces taxes sur les consommateurs est illégale, constitue un détournement de la lettre et de l’esprit de la loi fiscale, et est contraire à la politique fiscale de l’Etat qui est résolument tournée vers des actions sociales par un soutien accru aux ménages. L’UNTEL qui regroupe les opérateurs de téléphonie a pris leur contrepied car, les activités de Mobile Money ne relevaient simplement pas du régime fiscal des télécoms. Les entreprises de téléphonie ont pris sur elles d’extraire la fraction de mobile monnaie du chiffre d’affaires.
L’enjeu de la nouvelle taxe dans l’article 14 de l’annexe fiscale 2019, est de fiscaliser les activités de transfert d’argent par téléphonie mobile, préserver les recettes fiscales et freiner les mécanismes d’optimisation fiscale dans le secteur du transfert d’argent. Et Cela revient à dire qu’il y aura une taxe chaque fois qu’un transfert sera effectué via le réseau des entités de téléphonie mobile. En effet, si un usager envoie 100 000 FCFA, il devra payer 5000 FCFA alors que l’opérateur qui effectue le transfert d’argent a deux possibilités. Soit la société, pour garder sa part de marché, taxe 10,2% sur les 5000 FCFA, et elle les prend en compte ; soit la société décide d’imputer cette charge au client qui paiera par exemple 5500 FCFA désormais pour le transfert de la somme de 100 000 FCFA. Le problème, c’est que le chiffre d’affaires de l’opérateur de téléphonie est constitué par la commission que la société va prendre sur cette transaction et non les 100 000 FCFA au correspondant de l’usager.
Déjà envisagée et introduite dans l’annexe fiscale 2018, Cette taxe est dissimulée dans l’article 14 de l’annexe fiscale 2019. Dans l’annexe fiscale 2018, il avait été créé un impôt qui devait toucher les transferts d’argent. Il revient sous une autre forme dans le corpus de l’annexe fiscale 2019 qui indique que les clients des sociétés de transfert d’argent par téléphonie mobile seront désormais imposés à 3% sur tous leurs transferts qui seront émis. Le texte dans sa rédaction initiale mentionne que la taxe est assise sur les activités de téléphonie. La polémique enfle car pour les acteurs du secteur, les activités de transfert d’argent n’étaient pas soumises à cette imposition, ce qui a créé quelques malentendus avec les entreprises de téléphonie. Les frais des transactions monétaires via la téléphonie mobile (paiements ou transferts d’argent) deviennent beaucoup plus chers pour les populations qui utilisent un service pratique et accessible qui est entré dans nos habitudes et les mœurs. Le 8 janvier dernier, l’information du retrait de cette disposition de l’annexe fiscale avait été donnée mais finalement, comme on peut le constater, on revient au dispositif de l’année dernière mais de manière subtile. On n’en a pas fait un titre mais la disposition figure bel et bien dans le texte qui a été publié.
Aujourd’hui, il est clairement indiqué que l’ensemble des revenus réalisés par les sociétés de télécommunication, à la fois pour les services basiques que pour les services annexes, sera taxé. L’Etat parle d’optimisation fiscale parce que les transferts étaient séparés des activités normales des sociétés de téléphonie mobile, car logés dans les filiales spécifiques. Ce qui faisait que le revenu était distrait du dispositif de taxation. Mais pour l’Union nationale des entreprises de télécommunications (UNETEL), ou la partie adverse, il ne s’agit pas forcément d’une optimisation des recettes puisque c’est la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) qui impose aux sociétés de téléphonie mobile désireuses de faire du transfert d’argent, de créer une entité dédiée entièrement à cette activité.
Toutefois, le plus important est d’apaiser le climat qui prévaut entre le secteur privé et l’administration depuis 2018, entre les patrons d’entreprises ivoiriennes et l’administration fiscale qui a persisté de manière spécifique avec les opérateurs de téléphonie mobile de cote d’ivoire. En fait l’annexe fiscale de 2019 comporte une série de mesures qui sont de cinq ordres, à savoir, les mesures de soutien aux entreprises, les mesures de renforcement des moyens de l’État, les mesures à caractère social, les mesures de rationalisation et de modernisation fiscale et les mesures techniques. Mais certaines mesures de cette annexe fiscale ont besoin d’être précisées. Il s’agit, entre autres, des préoccupations relatives à l’extension de la déductibilité de la Tva aux gas-oil huiles et graisses utilisés dans les engins de manutention du secteur du bâtiment et des travaux publics (article 2), de l’aménagement des règles d’exigibilité de la taxe sur la Tva des entreprises de télécommunications (article 19) ; ou de l’aménagement des dispositions relatives au prélèvement de l’acompte au titre des impôts sur les revenus locatifs (article 28).
L’article 14 de l’annexe fiscale 2019 n’est pas la seule qui pose quelques soucis aux entreprises de cotes d’ivoire. C’est pourquoi, la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI) la Chambre de commerce européenne en Côte d’Ivoire (Eurocham) et l’UNETEL exigent de l’État une démarche et une philosophie participative, voire inclusive. Elles demandent à être rassurées par la politique fiscale qui doit être une fiscalité de développement financée par les entreprises grâce à un élargissement de l’assiette fiscale avec des entreprises de plus en plus nombreuses à payer leurs impôts. Etc. Heureusement, le dialogue qui a toujours existé entre l’Etat ivoirien et son secteur privé, ne semble pas être rompu. Le gouvernement à convoqué les troisièmes Assises nationales sur la fiscalité les 3 et 4 mai prochain pour définir les contours d’un système fiscal plus performant, compétitif, équitable et transparent, reposant sur une assiette plus large et des taux d’imposition moins élevés.
Rappelons qu’avec 32 millions de clients et trois opérateurs de téléphonie mobile sur le marché ivoirien, le mobile money représente 8% du PIB ivoirien et le secteur est l’un des plus gros employeurs du pays. L’utilisation du mobile money a connu une croissance exponentielle au cours des 10 dernières années en Afrique subsaharienne, faisant de la région le leader mondial en matière d’innovation, d’adoption et d’utilisation de cette technologie financière. En outre, la valeur globale des transactions via le mobile money représente l’équivalent de près de 10% du PIB en Afrique subsaharienne contre 7% du PIB en Asie et moins de 2% du PIB dans les autres régions du monde.