Comment gagner la bataille de la formalisation des entreprises au Sénégal ?

La crise liée à la pandémie du Covid-19 a mis en évidence le  besoin  de    faire  basculer  les  acteurs  du  secteur  informel  vers  des  entreprises  formelles.  Ne  serait-ce  que  pour  les  besoins  de  coordination et d’acheminement des mesures de soutien étatiques  aux  acteurs.  Une  économie  informelle  hypertrophiée  remet  en  cause  l’atteinte  des  objectifs  de  transformation  structurelle  de  l’économie sénégalaise et de croissance inclusive visés dans le PSE. 

Par Bacary SEYDI 

Le  secteur  informel  désigne  selon  les  définitions  et  classifications  données par le système de comptabilité nationale des nations Unies  « un  groupe  d’unités  économiques  engagées  dans  la  production  de  biens  ou de  services  qui  ne  sont  pas enregistrées  selon   les  formes  spécifiques de la législation nationale et qui ne constituent pas une  personne morale  distincte  du ménage  ou  des membres  du ménage  auxquels  elles  appartiennent  et  qui  ne  tiennent  pas  un  ensemble  complet de comptes (y compris des bilans de l’actif et du passif) ». 

La  question  de  la  formalisation  des  entreprises    transcende  les  enjeux  d’élargissement  de  l’assiette  fiscale.  C’est  un  enjeu  de  modernisation  de  la    structure  de  notre  économie,  mais  de  croissance  inclusive,  créatrice  de  richesse  partagée  et  d’emplois  pérennes.   

Les revers de l’informalité des entreprises

A  toute chose malheur est bon ; La Covid a eu le mérite de  révéler  pour  une  fois  à l’Etat,  la  vraie  nature  de  l’économie  réelle  du  Sénégal.  L’Etat  a  eu  toutes  les  peines  du monde  pour  identifier  les  acteurs de l’économie informelle, définir les mécanismes appropriés  de  soutien    et  trouver  le  meilleur  canal  de  transmission  de  ses  appuis. De ce fait, les premières mesures de soutien aux entreprises  les avaient exclues de fait – soit plus de 97% du tissu des entreprises  sénégalaises  (ANSD-2016).  Qu’ils  s’agissent  de  mesures  de  soutien  financier, fiscal ou social.   

C’est  bien  après  que  l’Etat  a  pris  certaines  mesures  de  soutien  financier  direct    à  des  groupes  d’acteurs  identifiés  comme  les  artisans,  les  transporteurs,  les  acteurs  culturels  etc,  sous  forme  de  subventions. Pour une fois, l’Etat du Sénégal a été  amené à apporter  des  réponses  aux  besoins  de  soutien  immédiat  de  l’ensemble  des   acteurs  économiques  impactés  par  les  mesures    de  restrictions  au  niveau  national  et  international.    Un  réel  problème  d’identification  des acteurs s’est posé qui exige d’aller vers la formalisation. 

Un  operateur économique  qui  n’enregistre  pas  son entreprise pour  ne  pas  avoir  à  payer  d’impôts  verra  ses  perspectives  commerciales  hypothéquées.  Il  ne  pourra,  de  crainte  d’être  mis  au  jour  faire  la  publicité  de  ses  produits,  créer  des  liens  commerciaux  avec  les  entreprises établies qui ont besoin d’une certaine formalisation avec  les  transactions  commerciales,  ou  encore  devenir  fournisseur  du  secteur public, et elle aura, entre autres difficultés, du mal à obtenir  un  financement.  L’expérience  montre  que  la  formalisation  d’une  entreprise  et  la  gestion  d’une  entreprise  formelle  nécessite  d’importants  investissements  en  temps  comme  en  ressources  financières.  C’est  pourquoi  la  plupart  des  PME  ne  respectent  que  partiellement la réglementation ou préfèrent même rester en dehors  du cadre réglementaire.

Constat  d’échec  des  initiatives  de  formalisation 

Plusieurs  reformes  ont  été  initiées  par  l’Etat  allant  dans  le  sens  de  contribuer  fortement    à  la  formalisation.  Au  plan  législatif  et  réglementaire, différentes politiques en direction des entreprises du  secteur informel  ont cherché à formaliser un secteur qui a -toujours  résisté  à    toute  réglementation.  Ce  processus  qui  a  été  d’abord  conduit par la Direction des PME (DPME), a démarré au Sénégal par  la mise en place progressive d’un cadre juridique et réglementaire de  2003 à 2008.  L’option prise par l’état pour formaliser les entreprises  du  secteur  informel  consistait      à  mettre  en  place  un  ensemble  de  mesures  de  soutien  et  d’accompagnement  pour  les  entreprises  qui  acceptaient de se formaliser,  à  travers leur adhésion à  la charte des  PME  (2003)  devenue  à  partir  de  2008  la  Loi  d’orientation  et  de  développement  des  PME  (Loi  2008  -29  du  28  juillet  2008,  www.gouv.sn).  

La  Loi  d’orientation  prévoyait  un  certain  nombre  de  facilités  (régularisation  fiscale, accès prioritaire  aux  financements publics, à  des  sites  aménagés,  aux  marchés  publics  etc)  aux    entreprises  qui  décidaient  volontairement  d’acquérir  la  « qualité  de  PME ».    En  contrepartie,  ces  entreprises  s’engageaient  au  respect  d’un  certain  nombre de règles et principes consensuels (disposer d’un Registre de  commerce,  d’un  Numéro  d’Identification  des  Entreprises  et  Associations  (NINEA),  tenir  une  comptabilité  allégée  (système  minimal  de  trésorerie)  reconnue  par  les  Centres  de Gestion  Agréés  etc. (Loi d’orientation 2008). 

Pour  faciliter  la  régularisation  fiscale  volontaire  des  entreprises  du  secteur informel et les amener  à acquérir la « Qualité de PME »,  le code  général  des  Impôts  adopté  en  2013  a  institué  la  Contribution  Globale  Unique  (CGU)  (Code  général  des  impôts  2013  )  ;  un  impôt  synthétique  qui  offre  *l’avantage  d’être  payé  une  seule  fois  l’an  et  est  calculé  sur  la  base  du  Chiffre  d’affaire  réalisé  par  l’entreprise.  Cette  imposition  unique  évitait  la  paperasserie  et  les  tracasseries  administratives inutiles   qui  décourageaient  plus  d’une entreprise à  se  formaliser.    Par  ailleurs    l’adhésion  était  volontaire  (régime  de  déclaration volontaire) en vertu du civisme fiscal.  

Plus tard, sera mis en place un Guichet de formalisation à l’APIX avec  des procédures simplifiées et des  coûts d’enregistrement quasi nuls,  ainsi que des délais d’enregistrement considérablement réduits. 

D’autres  mesures  ont  été  prises  par  l’Etat  : le  VISA  obligatoire  des  Etats financiers par un membre de l’ONECCA, la dématérialisation et  la télé déclaration (etax), une exonération pour les nouvelles PME de  l’impôt  Minimum  Forfaitaire    à  la  charge  de  l’Employeur  pour  une  période de trois ans à partir de leur création, le vote de la Loi sur les  Start  Up,  le  PASI,  (Programme  d’appui  au  Secteur  informel),  l’accompagnement de  l’ADEPME et de la DER à  la formalisation, le  Programme Yaatal, la suppression du minimum de perception de 500  000 F prévu en matière d’IMF dû par les  societes qui avait un effet  confiscatoire pour les PME en situation de déficit, la simplification du  barème de calcul de la Contribution Globale Unique. 

Toutes ces mesures se sont soldées par un résultat décevant avec un  secteur  informel  plus  que  prépondérant  que  jamais  dans  le  tissu  économique.  L’approche  pédagogique  utilisée  jusqu’ici  n’a pas  agit  sur les bons  ressorts.  L’option d’augmenter à tout prix les  recettes  publiques a souvent ete mis en avant sans se soucier de la viabilitee  des entreprises en question.

Que faire ? 

Un  consensus  semble  cependant  se  dégager  aujourd’hui :  l’orientation  des  politiques  publiques  doit  mettre  l’accent  sur  la  modernisation du secteur informel pour élargir l’assiette fiscale sans  créer  une  pression  fiscale.  Deuxième  consensus,  tout  le  monde  trouve  son  compte  dans  la  formalisation.  Aujourd’hui,  les  acteurs  sont  dans  de  bonnes  dispositions  pour  se  formaliser.  Certains  attentent même de la DGID qu’elle joue un peu un rôle de conseil et  d’accompagnateur  vers  la  formalisation  en  partenariat  avec  l’ordre  nationale  des  experts  comptables  et  comptables  agréées.  Un  partenariat tripartite DGID, UNACOIS et ONECCA est amorcé dans ce  sens.   

Les  acteurs  exigent  cependant  qu’ils  soient  associés  dans  l’élaboration  et  la  validation  des  lois  qui  les  concernent.  Les  lois  doivent être d’inspiration domestique, les impôts payés utilisés pour  améliorer les services publics et le bien être social.   

L’état du Sénégal a prévu dans le cadre du PAP2 A un programme de  formalisation  qui  s’articule  autour  du  triptyque  Financement,  Formation  et  accompagnement.  Qu’en  sera-t-il  de  sa  mise  en  œuvre ? That is the question. En tout cas, plusieurs spécialistes de la  question  sont  d’avis  que ces  quatre étapes  on  ne  peut  pas en  faire  l’économie si on veut gagner la bataille de la formalisation: 

La  sensibilisation  des  acteurs  sur  les  bienfaits  de  la  migration :  informer que la  formalisation va dans le  sens de l’intérêt personnel  comme  général.  Que  ca  permet  d’accéder  aux  marchés  publics,  au  financement,  aux  formations  et    la  technologie,  de  participation  citoyenne  des  entreprises  à  l’édification  d’une  nation  forte  et  au 

financement  des  besoins  sociaux,  qu’elle  procure  une  quiétude par  rapport aux pénalités ; 

La définition projet de l’entreprise. (son Plan d’Affaires, sa feuille de  route pour l’entrepreneur) ;  

Le Volet juridique et administratif (autorisations administratives pour  l’exercice  d’activités  réglementées,  choix  du  statut  juridique  parmi  ceux  promis  par  l’OHADA  comme  le  statut  de  l’entreprenant  qui  cartonne en ce moment au Benin et a  permis  de  faire  basculer  des  milliers d’unités de production informelles dans le secteur formel au  Benin. Il  procure  une  reconnaissance  juridique  souple  parfaitement  adapté  pour  la  typologie  d’unités  économiques  informelles  rencontrées au Sénégal, et  offre de nombreuses facilités  sur le plan  comptable, fiscal et social (protection sociale) ;  

L’accès  au  financement :  étape  de  sanction  positive  de  l’immatriculation et de la tenue de compte, participation aux  appels  d’offre, accès au dispositif de soutien étatique ; 

Il  faudra  cependant  régler  le  problème  de  perception  des  commerçants  qui  ont  l’impression  que  l’Etat  veut « persécuter  le  commerçant, lui mettre la pression et prendre son argent ». C’est ce  qui  crée  une  attitude  de    Méfiance  entre  les  commerçants  et les  administrations. Les  commerçants  ont  une  « perception  de  lois  compliquées ». Les lois doivent être d’inspiration domestique. 

La deuxième contrainte à lever, c’est la lisibilité des lois. Il faut arriver  à une association des acteurs dans l’élaboration des normes. 

La  troisième  contrainte,  c’est  l’insuffisance  de  dialogue  et  de  concertation. La 4eme contrainte, c’est le problème  des statistiques,  la  5eme,  le  problème  des  procédures  de  paiement  des  impôts.   Comparativement avec la Douane ou il y a un  transitaire ; il y a lieu 

de  mettre  l’Expert  Comptable  entre  les  commerçants  et  la  DGID  parce  qu’ils  disent  avoir  plus  confiance  aux  Experts  comptables  qu’aux  inspecteurs  des  impôts.  Etant  donné  que  certaines  expériences de  formalisation de commerçants  se  sont  révélées être   un engrenage.   

La  fonction  de  facilitation,  de  conseil  et  d’encadrement  de  la  DGID doit  être  mise  en  avant  en  lieu  et  place  de  sa  fonction  de  collecteur d’impôts. 




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