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Du Akonting au Banjo

Longtemps perçu comme étant l’instrument à la base de toutes les musiques modernes (Pop, Rock’n Roll, Reggae, Blues, Jazz, country music…), le banjo a fait l’objet d’intenses recherches notamment en Europe, en Amérique du Sud et aux Etats-Unis.

Cependant, jusqu’à récemment, de nombreuses controverses subsistaient sur ses véritables origines. La thèse la plus répandue jusque dans les années 1990 était que le banjo est un instrument américain même si personne n’avait vraiment réussi à retracer ses racines originelles avec des arguments scientifiques irréfutables. Ce n’est qu’en 2000 qu’un chercheur gambien du nom de Daniel Lemouhouma Jatta mette en evidence ses origines ouest-africaines, preuves à l’appui. Un coup de tonnerre dans la communauté banjo qui change complètement les perspectives de recherche sur le banjo dans le monde !

(Par Bacary seydi, journaliste et consultant)

Les recherches de M. Daniel Jatta sur un instrument presque identique au banjo appelé Akonting en langue Jola (langue locale) dans son pays d’origine la Gambie, en Casamance (région sud du Sénégal) et en Guinée Bissau, sont en effet arrivées à la conclusion que le Akonting n’est pas seulement un instrument de musique folklorique de l’espace sénégambien, mais c’est aussi le prototype du banjo utilisé en Amérique du Sud par les populations noires (les esclaves noirs) pendant des siècles d’abord avant que des musiciens de race blanche ne se l’approprient.

Selon M. Jatta, le mot Banjo lui-même vient d’un mot mandingue « bangoe » qui a donné naissance au nom de la capitale gambienne Banjul. Banjo serait donc un mot dérivé de Banjul.

Aujourd’hui, bien que le Akonting ne soit connu et joué que par un nombre limité de personnes en Gambie, pays d’origine de Daniel L. Jatta, les noms de certaines figures emblématiques de joueurs du Akonting sont restés gravés dans la mémoire collective, parmi lesquelles, on peut citer feu M. Sagar Sambo, le plus ancien joueur de Akonting et l’un des plus célèbres de Mandinari, le village natal de M. Daniel Jatta.

Qui est Daniel Diatta ?

Daniel Laemouahuma Jatta, est un chercheur, musicien et analyste financier gambien né en 1955 à Mandinari, et vivant aujourd’hui à Bijilo, une localité située non loin du nouvel aéroport de Gambie, à environ 30 minutes de route des résidences hôtelières. Laemouahuma est un surnom donné à Daniel dans sa petite enfance car sa mère était potière et Daniel cassait ses pots.

 Daniel Laemouahuma Jatta est un universitaire qui a été le pionnier de la recherche et de la documentation sur le Akonting, un instrument folklorique Jola, ainsi que sur le luth folklorique Manjago, le buchundu, au milieu des années 1980.

Après ses études primaires et secondaires en Gambie, Daniel Jatta obtient une bourse pour poursuivre ses études aux USA. Il a obtenu une maîtrise en administration des affaires (MBA) de l’Université d’Atlanta.

 Daniel a travaillé comme analyste financier en Amérique (hôtel Hilton Atlanta, Data General en Suède, Alfa Laval en Suède, comme auditeur en Gambie et chef comptable au stade de l’indépendance en Gambie.

Le facteur déclencheur de son intérêt pour la culture et le début d’une vaste entreprise de découverte de soi a été son expérience de travail au sein du ministère des Sports et de la culture avec le gouvernement gambien de 1984 à 1986.

Selon le professeur Scott Lindford, chercheur sur le banjo et ami de longue date de Daniel Diatta, Daniel a entendu le mot banjo pour la première fois au début des années 1970, alors qu’il était étudiant en commerce au Friendship Jr. College de Rockhill en Caroline du Sud. Il était fasciné par les grandes similitudes dans la conception, dans le style de jeu entre le Banjo et un instrument que son père jouait en Gambie appelé Akonting en langue Jola.

Cette information l’a finalement conduit à se lancer dans une recherche intense pour établir le lien historique entre le Banjo et le Akonting.

C’est après de nombreuses années de recherche que Daniel Laemouahuma Jatta est parvenu à remettre définitivement en cause toute la littérature sur l’histoire du Banjo en 2000 lors d’une présentation à la conférence annuelle de la communauté des experts du Banjo à Lexington Massachusetts avec son ami, Ulf Jagfors, le Chercheur et spécialiste suédois du banjo. Ils ont tous les deux établi que le Banjo et le Akonting ont des liens historiques évidents basés sur des similitudes et des caractéristiques identiques tant dans la façon dont ils sont joués et le son qu’ils produisent que dans leur construction.

Un coup de tonnerre qui a secoué la communauté du banjo !

L’un des plus grands mérites du travail de Daniel L. Jatta a été  d’établir sans hésiter le lien entre les deux instruments et de rétablir la vérité historique sur l’évolution du banjo.

Son mérite ne s’arrête pas là. Daniel a également démontré qu’il existe plusieurs groupes ethniques en Sénégambie avec des instruments similaires mais d’un style de jeu différent (comme le Buchundu, le Kisinta, le Busunde).

Il a surtout réussi à démontrer comment le banjo est passé des mains des descendants d’esclaves à celles des fils d’esclavagistes qui en ont fait leur héritage avant de devenir l’instrument de base de la musique moderne.

Face à la difficulté des recherches les plus célèbres sur le banjo pour établir ses véritables origines en effet, Daniel s’est lancé un défi et a consacré quatorze (14) années de recherches intenses et laborieuses pour explorer les origines du banjo avec le soutien du Centre Culturel International Vuxenskolan à Stockholm (une université pour adultes).

Ses travaux de recherche l’ont amené à se tourner vers les anciens Jola de Gambie, de Casamance au Sénégal et de Guinée Bissau dont son propre père qui ont une immense connaissance de l’histoire du Akonting et des instruments assimilés utilisés depuis des temps immémoriaux en Afrique de l’Ouest comme le xalam des Wolofs, le ngoni du Mandé. Son propre père jouait le Akonting et en fabriquait des modèles. Aujourd’hui, les travaux de recherche de Daniel L.Jatta sont reconnus mondialement comme les plus exhaustifs jamais réalisés sur les origines ouest-africaines du banjo.

Avec le soutien d’historiens suédois, son ami chercheur et spécialiste suédois du banjo ULF Jagfors, il a présenté avec succès ses découvertes à la Communauté  banjo de Boston en novembre 2000 aux USA à travers une présentation sur « les origines africaines du banjo » et lors d’un concert tenu à l’Université de Virginie. Daniel Jatta a en effet présenté les résultats de ses recherches et présenté le Akonting Jola au Third Annual Gathering of Banjo Collectors, une conférence internationale annuelle des principaux collectionneurs et spécialistes du banjo du 19ème siècle et du début du 20ème siècle. Les rassemblements annuels de collectionneurs de banjo servent de forums principaux pour les présentations de nouvelles recherches sur l’histoire et l’organologie du banjo.

La présentation de Jatta dans laquelle il s’est produit avec le Akonting et a montré des séquences filmées d’autres musiciens de Jola jouant cet instrument a fait sensation, note Wikipedia. Jatta et Jagfors ont expliqué que le banjo considéré comme le premier instrument folklorique américain aurait des racines ouest-africaines même si les Américains n’ont jamais voulu reconnaître cette vérité historique. Les recherches de Jatta ont radicalement invalidé et bouleversé toutes les théories précédentes sur les origines américaines de l’instrument.

Entre autres découvertes, Daniel Jatta a pu établir pour la première fois que les joueurs du Akonting utilisaient le même « clawhammer », un style de jeu à deux doigts, exactement comme le faisaient les premiers groupes de joueurs de banjo des années 1830-1840, appelés  » joueurs de banjo de gourde/ministrels ».

Ce genre de performance devient rapidement immensément populaire en l’espace d’un an à travers l’Amérique mais aussi en Irlande et en Angleterre, rapporte le magazine Hérald en 2012.

Comme le personnel de l’Establishment considérait le banjo comme un instrument américain, naturellement, toute la littérature européenne et américaine le considérait comme tel.

La première découverte de Daniel a été de leur dire que la Culture Banjo a commencé dans les pays des Caraïbes et y a été jouée du 17ème au 18ème siècle avant de se répandre aux USA et a donné naissance à plusieurs variétés musicales, Pop, Rock’n Roll, Reggae, Blues , Jazz, Folk et Country. Par conséquent, pour M. Jatta, il était surprenant de voir que les Blancs continuaient à affirmer que le Banjo faisait partie de leur patrimoine. Il n’était pas le seul à s’interroger sur la véracité de cette thèse depuis plusieurs années. Des questions se sont posées pour quelque chose qui venait des Caraïbes !

Interrogé sur le sujet, Daniel a précisé que c’était M. Joel Walker Sweeney qui était le premier Américain blanc à jouer publiquement du banjo et était appelé « le père du banjo » vers les années 1840. Selon les découvertes de Daniel L. Jatta, les esclaves n’étaient pas autorisés à jouer du banjo en dehors des plantations à cette époque.

Il a ajouté que « Le père de Joel Walker Sweeney était l’un des plus grands propriétaires d’esclaves de Virginie. Ainsi, son enfant jouant avec les esclaves de son père, a pu jouer du banjo avec eux. Bien que ce ne soit toujours pas la façon dont Joel Walker Sweeney a appris le banjo, il est clair maintenant que le banjo existait dans les pays des Caraïbes au 17ème siècle, alors que Joel Walker Sweeney est né au 19ème siècle ! »

Du coup, Daniel a souligné l’absence de références solides sur l’histoire du Banjo.

L’encyclopédie universalis qui reconnaît que le banjo a été emprunté à des instruments africains ancestraux et introduit au 17e siècle en Amérique du Nord par des esclaves noirs des Caraïbes, informe que c’est en 1859 que M. Stephen Van Hagen avait déposé un brevet de banjo à frettes, qui à l’époque provoquait de nombreux débats car le manche de l’instrument était auparavant dépourvu de repères.

De l’avis du professeur Scott V. Linford, également chercheur et joueur de Banjo qui a voyagé avec M. Jatta pendant de nombreuses années et a séjourné plusieurs fois dans l’espace sénégambien, notamment en Gambie et en Casamance, il existe de nombreuses similitudes entre le Banjo et le Akonting, et dont le plus frappant est la façon unique de les jouer. Il existe un style unique et identique de jeu le Akonting et du Banjo « the Clawhammer » qui les différencie fondamentalement des autres styles de jeu d’instruments à cordes comme la guitare. Ces évidences et faits vont définitivement discréditer et disqualifier toute la littérature américaine sur le Banjo, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur l’instrument.

Les résultats de recherche de Daniel Jatta ont d’abord reçu un accueil mitigé de la part de la communauté Banjo selon le professeur Scott V. Linford. « Certains spécialistes étaient captivés tandis que d’autres voulaient en savoir plus. Mais dans l’ensemble, ils ont été bien acceptés aux États-Unis », déclare M. Linford. Interrogé lors de son dernier séjour en Gambie et en Casamance en 2022 sur les enjeux que représentent aujourd’hui les découvertes de Daniel Jatta, Scott V. Linford estime qu’elles s’inscrivent dans ce que l’on pourrait appeler la renaissance culturelle noire à travers le banjo.

 « Aux USA, le grand public pensait que l’instrument avait été inventé par les bancs dans les montagnes. Savoir que l’instrument était africain permet de s’intéresser un peu plus à l’histoire afro-américaine, d’où le concept de « black banjo revival ». Selon notre interlocuteur, le résultat ne s’est pas fait attendre puisqu’en dehors des voyages de joueurs américains en Gambie pour aller s’abreuver à la source du Akonting avec Daniel, on voit aujourd’hui émerger plusieurs joueurs de banjo noirs dont une femme Rhiannon Guiddens, la joueuse de banjo la plus célèbre qui connaît actuellement un grand succès.

Pour les sénégalais, les Gambiens et les Guinéens, il est bon de savoir que le Akonting est un instrument important de la vie culturelle, notamment dans le monde rural, et qui produit un modèle de musique folklorique africaine qu’il faut s’approprier.

D’où l’idée de développer avec M. Jatta plusieurs projets culturels autour du Akonting et d’autres instruments folkloriques africains tels qu’une école de formation, un musée et un livre sur les instruments folkloriques traditionnels africains entre autres projets. Bientôt un Centre Akonting en Gambie.

Ayant constaté lui-même que très peu de Gambiens et de Sénégalais ont jadis posé les yeux sur le Akonting qui a donné naissance au banjo à une époque où Afro-Américains et Américains se disputent la paternité de ce dernier, Daniel décide de retourner s’installer en Gambie pour promouvoir et valoriser le Akonting et amener ses compatriotes et Africains à se l’approprier, pour en faire un instrument folklorique phare de leur patrimoine culturel. Pour ce faire, il compte développer plusieurs projets structurants en Gambie avec ses amis, dont un centre de formation sur le Akonting et les instruments folkloriques traditionnels africains.

Il en donne les raisons « Mon objectif est de mettre en place un centre de formation en Gambie qui pourrait être une sorte de vitrine pour toute personne désireuse de comprendre les cultures folkloriques qui sont à la base de notre musique, de notre culture et de notre histoire, de les connaître et de pouvoir les jouer comme on le faisait avant pour développer notre société sous toutes ses formes ». Convaincu de l’importance de la culture dans tout processus de développement et militant avant l’heure de la renaissance culturelle noire, Daniel justifie sa démarche par le fait que « les instruments et les cultures qu’ils sont capables de créer représentent aujourd’hui une forme de savoir créatif que nous devons nous approprier et nous réapproprier pour pouvoir retrouver la créativité qu’ils étaient dans le passé ». Car pour lui, « si nous, Africains, ne créons pas des institutions qui vont intégrer nos peuples qui ont des savoirs, pour nous enseigner ces savoirs, on ne pourra jamais aller au-delà de ce qu’on a ».

L’ouverture officielle du Centre sur le Akonting est prévue pour novembre 2022.

 Daniel lancera aussi en novembre son livre sur l’Origine du banjo intitulé « Banjo Models’akonting and other folk lutes of Senegambia ».

 La mission de ce Centre est d’accueillir et d’encourager la recherche, la documentation, la préservation de la musique folklorique sénégambienne et du patrimoine culturel sénégambien. .

Le plus grand souhait de Daniel Laemouahuma Jatta aujourd’hui est de donner une valeur économique marchande aux instruments de musique traditionnels africains et de faire en sorte qu’ils profitent à son peuple ; qu’il s’agisse de joueurs de Akonting, de fabricants et vendeurs d’instruments, ou simplement de musiciens formateurs qui enseignent comment les jouer, et comment les danser. C’est une façon de donner une seconde vie à ces instruments, mais mieux que ça, c’est la meilleure façon de préserver un patrimoine culturel qui, selon lui, doit désormais faire partie du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO.

Bibliographie

Scott V Linford, Ethnomusicology Review (July 2014), Historical Narratives of the Akonting and Banjo

HTTPS://ETHNOMUSICOLOGYREVIEW.UCLA.EDU/CONTENT/AKONTING-HISTORY

https://www.universalis.fr/encyclopedia/banjo/1-histoire/

Levy, Chuck. 2012. « An Interview with Laemouahuma (Daniel) Jatta. » <http://www.banjourneys.com/jatta_interview_transcript/>

Jagfors, Ulf. 2003. « The African Akonting and the Origin of the Banjo. » The Old-Time Herald 9(2):26-33.

The old-time herald, volume 13 number 2-31, 2003-4 www.oldtimeherald.org

www.blackbanjo.com

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